Un texte argumentatif peut traiter de tout type de sujets. Cependant, on retrouve, au fil des siĂšcles, une rĂ©currence des thĂšmes liĂ©s Ă ce que l'homme a de plus proche â mais parfois de plus mystĂ©rieux lui-mĂȘme. 1. La rĂ©flexion sur ce qui constitue l'identitĂ© de l'homme Le texte argumentatif n'est pas seulement le lieu oĂč un Ă©crivain dĂ©fend une thĂšse dĂ©jĂ formĂ©e ; il est Ă©galement un espace oĂč il peut s'interroger, poser des questions dont les rĂ©ponses ne sont pas Ă©videntes et nĂ©cessitent une rĂ©flexion. L'auteur y dĂ©veloppe des constats, propose une interprĂ©tation, Ă©ventuellement une thĂšse â mais surtout, il dĂ©roule une pensĂ©e en construction. L'une des questions fondamentales qui se pose Ă l'homme est bien sĂ»r celle de son identitĂ© qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est-ce qu'un individu ? L'Ă©criture de soi Certains Ă©crits s'organisent, pour tenter de rĂ©pondre Ă cette question, autour d'une description de soi. Au xvie siĂšcle, Montaigne, dans Les Essais, essaie de se dĂ©peindre, pour se comprendre. L'autoportrait prend une valeur argumentative lorsqu'il se tourne vers une rĂ©flexion thĂ©orique Ă partir de l'observation de soi-mĂȘme. Montaigne affirme ainsi Je ne peins pas l'homme, je peins le passage », ce qui signifie que selon lui, l'homme n'est pas une unitĂ© donnĂ©e une fois pour toutes mais un ĂȘtre en changement permanent. Jean-Jacques Rousseau, au xviiie siĂšcle, donnera Ă la littĂ©rature française la premiĂšre autobiographie au sens strict du terme mais Les Confessions offrent de nombreux passages dans lesquels le rĂ©cit de sa propre vie et la rĂ©flexion sur l'identitĂ© se mĂȘlent inextricablement. Le xixe et le xxe siĂšcles poursuivront cet effort de comprĂ©hension de soi, qui est aussi une tentative de comprĂ©hension de l'homme. Lorsque Nathalie Sarraute, par exemple, Ă©crit Enfance, elle fait dialoguer deux voix qui se rapportent pourtant Ă une seule personne â elle-mĂȘme. Cette forme littĂ©raire est, de façon oblique, une maniĂšre de rĂ©flĂ©chir la multiplicitĂ© de l'individu elle est mĂȘme une contestation de l'Ă©tymologie du mot, puisque in-dividu » signifie le fait d'ĂȘtre indivisible. Les textes thĂ©oriques Des textes plus directement argumentatifs s'intĂ©ressent Ă©galement Ă cette question. L'auteur cherche alors Ă expliciter ce qu'est la personnalitĂ© ou l'humanitĂ©, en tentant de dĂ©couvrir les rouages du cĆur comme ceux de la pensĂ©e. La rĂ©flexion se fait, dans ce cas, plus large, et mĂȘme si certains Ă©crivains partent d'un cas particulier, ils dĂ©gagent ensuite des lois ou des thĂšses gĂ©nĂ©rales. Au xviie siĂšcle, Pascal pose ainsi la question Qu'est-ce que le moi ? » dans Les PensĂ©es, et y rĂ©pond Ă l'aide d'un dĂ©veloppement thĂ©orique rĂ©vĂ©lant que ce moi » n'est rĂ©ductible ni au corps, ni Ă la raison, ni aux Ă©motions. La Rochefoucauld ou La BruyĂšre, toujours au xviie siĂšcle, livrent dans les Maximes et dans les CaractĂšres une sĂ©rie de descriptions, parfois critiques, qui permettent de saisir un individu Ă partir de ce qu'il montre ou de ce qu'il croit ĂȘtre. Ces moralistes cherchent donc Ă pĂ©nĂ©trer la vĂ©ritĂ© psychologique d'un homme, au-delĂ des apparences. Ils dĂ©cortiquent nos motivations, et dĂ©busquent l'hypocrisie ou l'intĂ©rĂȘt qui nous guident. Au xxe siĂšcle, les surrĂ©alistes reprendront cette question pour lui donner une toute autre interprĂ©tation ce courant littĂ©raire dont le chef de file est AndrĂ© Breton met en effet en avant l'importance de l'inconscient chez l'individu. Certains textes, enfin, sont plus ouvertement philosophiques. Sartre, dans L'Ătre et le NĂ©ant, ou dans L'Existentialisme est-il un humanisme ?, dĂ©finit la conscience et rejette l'idĂ©e selon laquelle il existerait une nature humaine » ou un caractĂšre » auxquels nous serions soumis. Il s'oppose par lĂ Ă tout ce que les moralistes avaient cherchĂ© Ă montrer. La question de la foi et du sens Cette interrogation est souvent accompagnĂ©e d'une rĂ©flexion sur le rapport entre individu et foi, ou individu et croyance. En effet, qui veut Ă©tudier l'homme doit prendre en compte ses aspirations et son inclination au sacrĂ©. Certains thĂ©ologiens, comme Thomas d'Aquin, ou certains croyants fervents, comme Pascal, exposent dans leurs ouvrages leurs convictions religieuses. Ce faisant, ils proposent aussi une conception de l'homme, dotĂ© d'une Ăąme et ayant Ă©ventuellement accĂšs Ă l'immortalitĂ©. La rĂ©flexion sur l'homme pose alors la question du sens de notre vie sur terre, de notre devenir, et de la valeur que l'on peut accorder aux biens matĂ©riels ou spirituels. Tout le xviiie siĂšcle avec en particulier Voltaire, ou Diderot s'attache Ă cette question en la posant sous l'angle du bonheur les philosophes des LumiĂšres combattent une religion rĂ©pressive et autoritaire, et posent des valeurs nouvelles. 2. L'individu et la sociĂ©tĂ© RĂ©flĂ©chir sur l'homme, c'est aussi rĂ©flĂ©chir sur la sociĂ©tĂ© dans laquelle il s'insĂšre. En effet, l'homme ne vit pas sauf exception isolĂ© ; or, l'inscription dans une communautĂ© engendre des heurts, des dysharmonies, des frustrations⊠Les textes argumentatifs cherchent donc Ă comprendre le rapport de l'homme Ă la sociĂ©tĂ©, et Ă©laborent parfois des modĂšles de sociĂ©tĂ©s. Utopies Le genre de l'utopie créé par Thomas More, au xvie siĂšcle est ainsi un entrelacement du rĂ©cit et de l'argumentation il propose un lieu idĂ©al, en correspondance avec des valeurs â comme le fait Rabelais avec l'abbaye de ThĂ©lĂšme. Dans ce texte imprĂ©gnĂ© de l'optimisme de l'humanisme, l'auteur montre que la sociĂ©tĂ© idĂ©ale est celle oĂč chacun est libre, mais suffisamment liĂ© Ă autrui par une culture commune, des goĂ»ts semblables, etc. pour ne pas le contrarier. D'autres Ă©crivains useront de ce genre Voltaire propose l'utopie de l'Eldorado, dans Candide il y montre l'importance des arts et des sciences, et la possibilitĂ© de se passer de prisons. Au xixe siĂšcle, Jules Verne ou Charles Fourier imaginent des villes propres, rationnelles, gĂ©omĂ©triquement parfaites. Lois morales et difficultĂ©s Ă vivre en sociĂ©tĂ© Le rapport entre individu et sociĂ©tĂ© peut passer Ă©galement par l'Ă©laboration de codes et de lois » morales, afin de permettre une vie commune sans affrontement. Les moralistes du xviie siĂšcle prĂŽnent une conduite mesurĂ©e, correspondant aux valeurs classiques » de l'Ă©poque ils admettent l'existence de l'orgueil, des dĂ©fauts de chacun â mais montrent comment on peut, en respectant les biensĂ©ances et en se pliant Ă des usages de politesse, faire en sorte que les vices ne soient pas invivables. La vision de l'homme qu'ils proposent est assez dĂ©sabusĂ©e, dans la mesure oĂč ils ne croient pas Ă une amĂ©lioration de l'individu. Cependant, Pascal dans Les Trois Discours sur la condition des Grands, ou La Rochefoucauld dans les Maximes, donnent aux lecteurs des Ă©lĂ©ments pour transformer cet Ă©tat de faits en un univers tolĂ©rable. Le théùtre prend en charge lui aussi cette rĂ©flexion la piĂšce de MoliĂšre, Le Misanthrope, peut ĂȘtre lue comme une argumentation, autour des thĂšmes de la franchise et de l'hypocrisie. Dans les piĂšces de Racine est posĂ©e la question de la place Ă donner aux passions individuelles contre les devoirs sociaux. Tout au long du xixe siĂšcle, des auteurs tels que Stendhal, Balzac, Maupassant ou Zola montrent dans leurs romans, par l'intermĂ©diaire des rĂ©flexions des personnages, ou bien dans des articles les difficultĂ©s de l'accord entre l'individu et la sociĂ©tĂ©. Le roman d'apprentissage livre ainsi le parcours d'un personnage, cherchant Ă s'insĂ©rer dans la communautĂ© et, en mĂȘme temps, Ă rĂ©aliser ses ambitions personnelles â avec plus ou moins de bonheur Le Rouge et le Noir, de Stendhal, Illusions perdues de Balzac. En effet, entre les aspirations de l'individu et la sociĂ©tĂ© peut se rĂ©vĂ©ler une distance infranchissable. Certains textes argumentatifs explicitent cette incompatibilitĂ©, par exemple en dĂ©veloppant une thĂ©orie de l'individualisme. Choderlos de Laclos, dans le roman Ă©pistolaire Les Liaisons dangereuses, ou Sade, dans ses Ă©crits romanesques et philosophiques, montrent des personnages pour qui la seule voie possible est le rejet des valeurs communes et l'exaltation des inclinations personnelles. Mais le xviie siĂšcle avait dĂ©jĂ en parallĂšle au courant classique » creusĂ© cette voie les auteurs baroques considĂšrent le monde et l'homme comme des entitĂ©s fondamentalement hĂ©tĂ©rogĂšnes, changeantes, multiples â qu'il serait vain de vouloir couler dans un moule unique et dans une harmonie illusoire. Et, plus prĂšs de nous, le xxe siĂšcle a vu Ă©clore une rĂ©flexion sur les dĂ©sirs et les frustrations individuels nombreux sont les ouvrages argumentatifs sur la sociĂ©tĂ© de consommation, l'uniformisation qui dĂ©coule de la mondialisation. 3. La rĂ©flexion politique S'inscrire dans une sociĂ©tĂ©, c'est aussi participer Ă la vie politique. Or, l'argumentation est le type de textes privilĂ©giĂ© pour dĂ©velopper des thĂšses, faire la critique ou l'Ă©loge de certains modes de pouvoir comme de certaines valeurs. Les rapports entre les hommes La rĂ©flexion sur le rapport entre soi et l'autre n'a jamais cessĂ©. Les textes argumentatifs peuvent ĂȘtre directs Montaigne, au xvie siĂšcle, critique l'ethnocentrisme dans Les Essais, et Levi-Strauss, ethnologue du xxe siĂšcle auteur de Tristes Tropiques, montre que ce que nous nommons barbarie » est de notre cĂŽtĂ© bien plus que de celui des barbares ». Sartre signe la prĂ©face d'une anthologie de la nouvelle poĂ©sie nĂšgre et malgache », prĂ©face intitulĂ©e OrphĂ©e noir dans laquelle il dĂ©monte les mĂ©canismes racistes. D'autres auteurs utilisent le biais de l'argumentation indirecte PrĂ©vert, CĂ©saire, Senghor prennent la parole et dĂ©fendent la thĂšse de l'anti-racisme Ă travers la poĂ©sie. La justice Cette rĂ©flexion sur l'Ă©galitĂ© des hommes s'accompagne de celle portant sur la justice. De fait, la littĂ©rature argumentative se penche sur les notions de pouvoir, de tolĂ©rance⊠Le siĂšcle des LumiĂšres a vu Ă©merger de trĂšs nombreux Ă©crits textes comparant les diffĂ©rents modes de gouvernements Montesquieu, De l'Esprit des Lois, texte thĂ©orique Les Lettres persanes, roman Ă©pistolaire, critique du fanatisme et de l'intolĂ©rance. Voltaire, Diderot, ont ainsi fourni de nombreux articles pour L'EncyclopĂ©die, ayant pour base ces Ă©lĂ©ments. L'engagement Cette interrogation sur les modes politiques mĂšne immanquablement Ă la rĂ©flexion sur l'engagement. Les textes argumentatifs explorent les thĂšmes de la guerre, de l'inhumain », et, au xxe siĂšcle, de l'univers concentrationnaire â rĂ©flĂ©chir sur l'homme, c'est ainsi prendre position sur l'horreur de certains Ă©vĂ©nements. L'indignation emprunte diverses voies la satire ou le pamphlet, l'ironie Voltaire, dans Candide, par exemple, le rĂ©cit autobiographies de Primo Levi, de SemprunâŠ, la contre-utopie 1984, de George Orwell. En 2010, StĂ©phane Hessel a rencontrĂ© un succĂšs fulgurant avec un appel Ă l'engagement intitulĂ© Indignez-vous. Conclusion Le texte argumentatif, direct ou indirect, est le lieu privilĂ©giĂ© d'une rĂ©flexion anthropologique, qui se poursuit au fil des Ă©poques les auteurs s'interrogent, et se rĂ©pondent d'un siĂšcle Ă l'autre â chaque vision enrichissant notre vision de nous-mĂȘme.
Cesont les Ă©crivains dans la guerre. Pour ce premier texte de notre sĂ©rie « Ăcrivains dans les tranchĂ©es », Le Devoir se penche sur Stendhal, TolstoĂŻ et Barbusse. Depuis que le1Le long rĂšgne de Louis XIV, qui sâĂ©tend de 1661 Ă 1715, correspond dans sa premiĂšre partie Ă lâapogĂ©e de la monarchie dite absolue. PrĂ©cision de dĂ©part il ne faut pas confondre absolutisme et despotisme. Lâabsolutisme, mĂȘme sâil y a contradiction dans les termes, comporte des limites, des rĂšgles dâorganisation et de fonctionnement, des institutions que le monarque doit respecter. Quant au despotisme, il dĂ©signe le gouvernement arbitraire, sans frein ni limites. Lâabsolutisme est la rĂ©sultante dâune longue gestation historique. Ă mesure que le temps passe, la sociĂ©tĂ© française paraĂźt de plus en plus soumise au roi. La noblesse, dĂšs le xvie siĂšcle, est retenue Ă la cour dans une sorte de domesticitĂ© dorĂ©e. La cour, surtout celle de Versailles, fut le vĂ©ritable antidote contre la turbulence et lâesprit frondeur des nobles. GrĂące au concordat de Bologne de 1516, le roi a obtenu la disposition des principales dignitĂ©s et bĂ©nĂ©fices ecclĂ©siastiques ; il nomme les Ă©vĂȘques et les abbĂ©s des principales abbayes, et sâassure ainsi la docilitĂ© du clergĂ©. La bourgeoisie est tombĂ©e, elle aussi, dans lâorbite royale. Le systĂšme de la vĂ©nalitĂ© des charges et des offices la fixe irrĂ©sistiblement au service du roi. Artisans et commerçants sont encadrĂ©s par des groupements corporatifs Ă©troitement soumis Ă lâautoritĂ© publique. Les paysans subissent les consĂ©quences des pressions multiformes, politiques, Ă©conomiques, fiscales, culturelles ; sur eux, sâappesantit la tutelle de lâĂtat, des centres urbains et des corps intermĂ©diaires. 2La soumission de la sociĂ©tĂ© au roi est rĂ©elle, les Français obĂ©issent. Ils obĂ©issent parce que leur culture, leur Ă©ducation les inclinent Ă lâobĂ©issance la France est lâhĂ©ritiĂšre de Rome, patrie du droit, de la thĂ©orie de lâĂtat, de la puissance publique. La France aussi est un pays catholique. Or, lâĂglise, modĂšle de sociĂ©tĂ© politique, est une structure monarchique dirigĂ©e par le pape ; elle procĂšde par affirmations dogmatiques, par voie hiĂ©rarchique, et refuse en matiĂšre religieuse le libre examen. Surtout, elle affirme que toute sociĂ©tĂ©, toute citĂ© terrestre a besoin dâune autoritĂ©, dâun pouvoir. Le pouvoir est la consĂ©quence du pĂ©chĂ©, de la chute originelle. Saint Paul et saint Pierre lâont rappelĂ©, omni potestas a Deo ». LâĂglise enseigne donc le respect de lâautoritĂ© politique et la soumission au roi. 3Mais la sociĂ©tĂ© aussi a des droits. Lâhomme chrĂ©tien sait quâil est une image de Dieu, quâil a une Ăąme immortelle, et que sâil doit ĂȘtre un bon citoyen, un sujet obĂ©issant, il ne doit pas tout Ă lâĂtat. Ses droits fondamentaux ne viennent pas dâune concession faite par le pouvoir, il les tient du fait dâĂȘtre un homme, de lâĂ©minente dignitĂ© de la personne humaine. Les Français sâassignent des objectifs communs, plus ou moins consciemment faire vivre, au cĆur de la sociĂ©tĂ©, le principe dâĂ©galitĂ©, proclamĂ© par le christianisme. DĂšs le xiiie siĂšcle, cette poussĂ©e Ă©galitaire a obtenu des rĂ©sultats dans les villes, contre les seigneurs, les bourgeois ont arrachĂ© des chartes de franchise, le droit de gĂ©rer leurs affaires municipales ; dans les campagnes, les serfs sont massivement affranchis et la plupart des paysans ont conquis, Ă la fin du Moyen Ăge, la libertĂ© personnelle. Plus tard, lâĂtat offrira la protection de son droit et de son organisation aux propriĂ©taires, aux Ă©pargnants, Ă lâensemble de la classe moyenne en formation, en expansion autour de la bourgeoisie. 4Rien de tout cela, certes, nâaurait Ă©tĂ© possible sans le roi. Mais lâabsolutisme royal est seulement lâinstrument de la volontĂ© du peuple. La sociĂ©tĂ© nâobĂ©it au roi que parce quâelle commande. Câest elle qui fixe les objectifs la constitution patiente, progressive, dâune immense classe moyenne qui nâest rien dâautre que le tiers Ă©tat Ă©mancipĂ© et prospĂšre. Lâabsolutisme monarchique, en ce sens, nâest pas lâoppression de la sociĂ©tĂ© par le roi ; il exprime la volontĂ© sociale. Câest un mandat confiĂ© au roi, le moyen dâĂ©vincer les seigneurs qui exploitent les roturiers et de construire un Ătat, une administration au service de la grande classe moyenne en formation dĂšs le Moyen Ăge, et qui prendra le pouvoir en 1789. 5Cette classe moyenne en expansion est aussi une espĂ©rance, la terre promise de tous les exclus, de tous les prolĂ©tariats. Ainsi, la volontĂ© patiente dâĂ©largir le groupe central des Français et, pour le tiers Ă©tat, de sâemparer directement du pouvoir, vient de loin. Il nây aurait jamais eu de 1789 si la France profonde, dĂšs le Moyen Ăge, ne sâĂ©tait pas identifiĂ©e Ă ce grand projet de lâintĂ©gration sociale. Pour le rĂ©aliser, la sociĂ©tĂ© eut longtemps besoin du roi et lui confia un pouvoir absolu. Le roi a reçu un mandat mettre au pas, par tous les moyens, les forces qui sâopposent Ă la rĂ©alisation de ce programme, la noblesse et une partie du haut clergĂ©. Le pouvoir royal nâest absolu que dans la mesure oĂč il sâattaque Ă la fĂ©odalitĂ©, aux fĂ©odalitĂ©s. Pour le reste, il est limitĂ© par les prĂ©rogatives de la sociĂ©tĂ©, par des rĂšgles, des privilĂšges » qui sont autant de signes de la vitalitĂ© sociale. Ce nâest pas de Dieu que le roi tient son pouvoir, mais de cette volontĂ© dĂ©cidĂ©e de la sociĂ©tĂ©. Ou plutĂŽt, le Dieu quâon invoque nâest rien dâautre que la volontĂ© du peuple. 6Ce que veut le peuple, câest un Ătat, une forte administration capable de concrĂ©tiser les objectifs de la sociĂ©tĂ©. Pour Tocqueville, auteur de LâAncien RĂ©gime et la RĂ©volution 1856, le tiers Ă©tat est parvenu Ă subtiliser le gouvernement local, le pouvoir municipal, Ă la fĂ©odalitĂ©, mais il est trop faible encore, trop Ă©miettĂ© pour exercer lui-mĂȘme le pouvoir politique gĂ©nĂ©ral. Il va donc, au Moyen Ăge, le confier au roi, dĂ©nominateur de ses intĂ©rĂȘts. Toute lâhistoire de France est donc celle dâune continuitĂ©, de lâextension de lâĂtat centralisĂ©, de la mainmise de lâadministration sur le corps social. Les conquĂȘtes administratives des rois de France sont le trait dominant de notre histoire. Toutes les forces qui sâopposent Ă ce monopole sont anĂ©anties. Et dâabord la noblesse, ou plus prĂ©cisĂ©ment, le principe aristocratique, donc lâidĂ©e mĂȘme, la possibilitĂ© mĂȘme de la lĂ©gitimitĂ© dâune rĂ©sistance Ă lâĂtat. Le pouvoir central, devenu arbitraire, lâĂtat, instrument de lâabsolutisme, ne tolĂšrent plus les corps intermĂ©diaires. Victoire du principe dĂ©mocratique car les sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques poussent au gouvernement centralisĂ© ; alors que les sociĂ©tĂ©s aristocratiques prĂŽnent la dĂ©centralisation, le gouvernement local. Au fond, Tocqueville voit dans lâexistence dâune aristocratie, dâune Ă©lite au sens large, la garantie et le rempart de la libertĂ© ; alors que Guizot pense que lâaristocratie est un obstacle Ă la libertĂ©. Mais pour les deux auteurs, lâhistoire de France est bien celle de la croissance du pouvoir royal appuyĂ© dâen bas sur le tiers Ă©tat. 7En dĂ©finitive, le vĂ©ritable bĂ©nĂ©ficiaire des thĂ©ories absolutistes, ce nâest pas le roi mais lâĂtat. La notion dâĂtat se prĂ©cise, Ă la fin du xvie et au dĂ©but du xviie siĂšcle, en mĂȘme temps que les doctrines absolutistes et chez les mĂȘmes auteurs Bodin, Coquille, Loyseau, Cardin Le Bret, Richelieu â et avec le sens que nous lui connaissons aujourdâhui. Pour ces auteurs, lâĂtat prĂ©sente trois caractĂšres il est dâabord autonome, câest-Ă -dire doublement indĂ©pendant ; indĂ©pendant des formes de gouvernement quâil peut revĂȘtir monarchiques, aristocratiques, ou dĂ©mocratiques ; indĂ©pendant aussi des hommes qui le gouvernent ainsi en France, lâĂtat nâappartient pas au roi qui en a simplement la responsabilitĂ©, son rĂšgne durant ; ensuite, lâĂtat est souverain câest Ă lui, et non pas au roi, que la souverainetĂ© est attachĂ©e ; le roi ne fait quâexercer au nom de lâĂtat, lâautoritĂ© souveraine ; enfin, lâĂtat est perpĂ©tuel dâoĂč procĂšde lâidĂ©e dâune permanence de lâadministration, dâune continuitĂ© des lois et des traitĂ©s ; les rois sâen vont, tandis que lâĂtat demeure. 1 Cette introduction reprend les considĂ©rations dĂ©veloppĂ©es dans notre ouvrage Histoire des institu ... 8Ă la fin de lâAncien RĂ©gime, la fĂ©odalitĂ© a disparu depuis longtemps, lâĂtat maintenant est fort, lâadministration rĂ©guliĂšre et puissante. La sociĂ©tĂ© dĂ©sormais peut se passer du roi et envisager de gouverner directement lâĂtat par lâintermĂ©diaire dâune Ă©lite bourgeoise. Le roi ne pouvait pas se passer de lâĂtat, nâĂ©tait rien sans lui ; mais lâĂtat peut se passer du roi. Câest ce qui arrivera sous la RĂ©volution la royautĂ© disparaĂźt, mais lâĂtat va continuer, de plus belle et sans elle, Ă grandir et Ă fructifier1. 2 Voir Paul Hazard, La crise de la conscience europĂ©enne 1680-1715, Paris, Boivin et Cie, 1935, t. ... 3 Thierry Maulnier, Introduction », dans Bernard de Fontenelle, Entretiens sur la pluralitĂ© des mon ... 9On nâen est pas lĂ au dĂ©but du rĂšgne de Louis XIV, qui correspond au moment le plus brillant de la monarchie française. Cependant, tout va se dĂ©grader trĂšs vite Ă partir des annĂ©es 1680. Ainsi que Paul Hazard lâa soulignĂ©, il y a longtemps dĂ©jĂ les caractĂšres de lâesprit du xviiie siĂšcle se sont manifestĂ©s beaucoup plus tĂŽt quâon ne le croit dâordinaire ; on le trouve tout formĂ© Ă lâĂ©poque oĂč Louis XIV Ă©tait encore dans sa force brillante et rayonnante ; Ă peu prĂšs toutes les idĂ©es qui ont paru rĂ©volutionnaires vers 1760, ou mĂȘme vers 1789, sâĂ©taient exprimĂ©es dĂ©jĂ vers 16802 ». Et, en plein xviiie siĂšcle, Diderot dĂ©clarait Nous avons eu des contemporains sous le rĂšgne de Louis XIV. » Thierry Maulnier a pu affirmer Le vrai siĂšcle promĂ©thĂ©en de lâhistoire des hommes nâest pas le xviiie siĂšcle, mais le xviie siĂšcle le siĂšcle oĂč quelques hommes, parvenus Ă un degrĂ© dâaudace, de rĂ©solution et de confiance dans lâexercice de la pensĂ©e quâil faut bien dire superbe, osĂšrent prĂ©tendre, au nom de lâhomme, Ă la victoire absolue sur le mystĂšre universel et Ă lâempire sans limites de la pensĂ©e mathĂ©matique sur les forces de la nature3. » Le long rĂšgne du Roi-Soleil a donc Ă©tĂ© divisĂ© en deux parties bien diffĂ©rentes la premiĂšre correspond Ă lâaffirmation de lâabsolutisme et dâun classicisme dans toute sa force ; mais la seconde est marquĂ©e par le trouble des consciences, une mauvaise humeur presque gĂ©nĂ©rale et la diffusion dâun esprit de contestation qui, dĂ©sormais, et jusquâĂ la RĂ©volution, ne cessera plus de se manifester. 1. Le point culminant de la monarchie absolue 1661-1685 10DĂšs 1661, quand il prend le pouvoir aprĂšs la mort de son mentor, le cardinal Mazarin, Louis XIV sâimpose dâemblĂ©e comme le maĂźtre absolu. La Fronde, qui a troublĂ© le pays quelques annĂ©es auparavant, a dĂ©montrĂ©, sâil en Ă©tait besoin, que les oligarchies nobiliaires et parlementaires, dĂšs lors que le peuple Ă©tait maintenu Ă lâĂ©cart, ne pouvaient remplacer la monarchie. Louis XIV gardait dans sa mĂ©moire le souvenir des misĂšres, des ruines et des massacres du milieu du siĂšcle. AppuyĂ© par le tiers Ă©tat, il dĂ©cida donc de gouverner par lui-mĂȘme avec lâaide dâun petit nombre de collaborateurs compĂ©tents. 11Son autoritĂ© est lĂ©gitimĂ©e par les publicistes, les thĂ©oriciens de lâĂtat dont les noms ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s Bodin, Coquille, Loyseau, Cardin Le Bret et Richelieu. Elle est soutenue aussi par les apologistes de lâabsolutisme dont le plus cĂ©lĂšbre est bien sĂ»r Bossuet, Ă©vĂȘque de Meaux et prĂ©cepteur du fils aĂźnĂ© de Louis XIV, le Grand Dauphin. Bossuet donne Ă la doctrine absolutiste sa forme la plus achevĂ©e dans une sorte de cours destinĂ© Ă son Ă©lĂšve, et rĂ©digĂ© entre 1670 et 1679 La politique tirĂ©e des propres paroles de lâĂcriture sainte. La thĂšse de Bossuet repose sur lâidĂ©e que le roi reçoit son pouvoir directement de Dieu, sans lâintermĂ©diaire du peuple. Dieu lui-mĂȘme a choisi la dynastie qui gouverne la France, et ce choix est, au dĂ©but de chaque rĂšgne, symbolisĂ© par la cĂ©rĂ©monie du sacre, en la basilique de Reims. De cette thĂ©orie du droit divin » dĂ©coule lâaffirmation que la monarchie française est une monarchie pure de tout alliage, de tout mĂ©lange avec dâautres formes de gouvernement, aristocratiques ou populaires. Les sujets sont, en consĂ©quence, privĂ©s de tout droit de contrĂŽle envers le roi. Ils sont soumis au roi comme ils doivent lâĂȘtre Ă Dieu, dont il est le lieutenant sur terre. LâobĂ©issance au monarque est un devoir sacrĂ©. 12Le roi va disposer dâune machine Ă©tatique dĂ©jĂ perfectionnĂ©e et dont il va amĂ©liorer le fonctionnement rĂ©gulier. Ce systĂšme ignore la sĂ©paration des pouvoirs ; et la confusion des pouvoirs entre les mains du roi signifie au fond que les pouvoirs, plutĂŽt que de se limiter les uns les autres, sont associĂ©s et sâentraident en vue de faire triompher la souverainetĂ©. 4 Sur le Conseil du roi, voir Jacques Krynen, La maĂźtrise royale du Conseil du roi », dans Histoire ... 13Le roi gouverne par conseil. DĂšs le xiie siĂšcle, le recours au conseil est devenu une exigence de la pensĂ©e politique qui oblige le monarque. Le Conseil du roi est situĂ© au sommet de lâappareil dâĂtat. IdentifiĂ© Ă la personne mĂȘme du souverain, il est le centre nerveux du gouvernement. Gerson, chancelier de lâuniversitĂ© de Paris, proclame ainsi dans un discours de 1405 Vivat Rex Un roi sans un prudent conseil est comme la tĂȘte dâun corps sans yeux, sans oreilles et sans nez. » Louis XIV rappelle la nĂ©cessitĂ© pour le roi de tout voir, tout Ă©couter, tout connaĂźtre ». Il doit aussi, et surtout peut-ĂȘtre, sâentourer de conseils DĂ©libĂ©rer Ă loisir, sur toutes les choses importantes, et en prendre de diffĂ©rentes gens, nâest pas, comme les sots se lâimaginent, un tĂ©moignage de faiblesse ou de dĂ©pendance, mais plutĂŽt de prudence et de soliditĂ©. » Les mĂȘmes recommandations se retrouvent dans ses MĂ©moires pour lâinstruction du Dauphin oĂč il affirme que la discussion des matiĂšres se peut faire par eux [les conseillers], mais toutes les rĂ©solutions doivent ĂȘtre de vous [le futur roi] ». Au xviie siĂšcle, les conseils de gouvernement sont tous prĂ©sidĂ©s par le roi. Le Conseil dâen haut rĂšgle les grandes affaires dans un cercle restreint de quelques personnes soigneusement choisies. Devant le Conseil des dĂ©pĂȘches viennent les affaires administratives, les rapports et correspondances des intendants. Enfin, le Conseil royal des finances arrĂȘte la politique budgĂ©taire et fiscale montant de la taille, levĂ©e Ă©ventuelle de nouvelles taxes, Ă©quilibre du budget. Le principe du gouvernement par conseil est une originalitĂ© des institutions monarchiques. Le systĂšme est trĂšs souple puisque tout y dĂ©pend de la volontĂ© du roi. Sous Louis XIV, la suprĂ©matie du Conseil du roi sur les officiers, les commissaires et les corps intermĂ©diaires joue Ă plein. En revanche, le roi depuis les Ă©vĂ©nements de la Fronde, se mĂ©fie des parlements et leur interdit de se parer du titre de cours souveraines ». En 1673, le roi ira mĂȘme jusquâĂ interdire aux parlements dâĂ©mettre des remontrances prĂ©alablement Ă lâenregistrement de ses ordonnances. Câest en vain que les parlements prĂ©tendent, et prĂ©tendront plus encore au xviiie siĂšcle, ĂȘtre le vrai Conseil du roi, le vĂ©ritable dĂ©pĂŽt des lois4 ». 14La centralisation se renforce inexorablement. Les provinces, les villes, aprĂšs leur rattachement au royaume, sâefforcent de conserver une part dâautonomie, des assemblĂ©es et des privilĂšges particuliers. Cependant, les libertĂ©s locales sâaffaiblissent. Les Ă©tats provinciaux, rarement rĂ©unis, dominĂ©s par les agents du roi, nâoffrent plus quâun simulacre de libertĂ© locale. Le roi prend lâhabitude de nommer les maires des grandes villes, ces Ă©chevins et ces consuls autrefois Ă©lus par les bourgeois du lieu. Les offices municipaux sont mis en vente. Ă la veille de la RĂ©volution, les libertĂ©s locales, provinciales et urbaines, ont cĂ©dĂ© presque partout sous le poids de la centralisation. 15Lâinstrument le plus efficace de cette centralisation, câest lâintendant, sorte de lien permanent et solide entre le pouvoir central et la rĂ©alitĂ© locale. Lâintendant est un commissaire » du roi il est donc susceptible dâĂȘtre rĂ©voquĂ© ou dĂ©placĂ© sans garanties. Sur place, dans le cadre de sa gĂ©nĂ©ralitĂ© », cet ancĂȘtre du prĂ©fet napolĂ©onien et des technocrates actuels, dispose de trĂšs larges pouvoirs. 16Louis XIV entend Ă©galement contrĂŽler et surveiller les mouvements qui agitent la sociĂ©tĂ©. Il fera dâabord de la cour, comme on le sait, lâinstrument dâabaissement de la noblesse. De cette noblesse française, ambitieuse, turbulente, travaillĂ©e par lâesprit dâintrigue et de trahison. Le roi imagina de la retenir et de la neutraliser dans une cour brillante oĂč les fĂȘtes, les bals, les rĂ©ceptions se succĂ©daient ; oĂč lâon se savait bien placĂ© pour obtenir du maĂźtre des faveurs et de grands emplois. Le roi saura Ă©galement faire de la guerre un ciment de lâunitĂ© nationale. La jeune noblesse, si ardente, sera enrĂŽlĂ©e dans lâarmĂ©e et les campagnes militaires, les camps, les siĂšges en fixeront la loyautĂ© et stimuleront dans la nation entiĂšre la fiertĂ© du nom français. 17Enfin, le roi sâemploie Ă surveiller les fluctuations de lâopinion publique. Cette opinion existait sans doute depuis toujours. Il y eut, dâailleurs, des batailles dâopinion en plein Moyen Ăge ainsi Ătienne Marcel luttant contre le dauphin Charles, rĂ©vĂ©la en 1358 la force de lâopinion parisienne. Cette opinion Ă©tait pourtant trop versatile pour Ă©tablir dans la durĂ©e une vĂ©ritable emprise sur les Ă©vĂ©nements. Elle ne pouvait se soutenir longtemps dans lâopposition, puisque le tiers Ă©tat Ă©tait groupĂ© autour de son roi, de sa foi et de sa loi ; rassemblĂ© derriĂšre un monarque, seul garant de lâordre et mainteneur de la paix. 18Ă la fin des guerres de Religion, lâopinion publique existe toujours, mais elle reste enfermĂ©e dans la gangue du systĂšme politique. Les Français ne conçoivent aucune alternative Ă la monarchie, il nâest pas question de la renverser ; mais ils veulent un roi Ă leur goĂ»t si Henri IV ne se convertit pas au catholicisme, il ne rĂ©gnera jamais. Tandis que dans le nord de lâEurope, la religion du prince sâimpose au peuple, en France, câest la religion du peuple que le prince devra adopter. Lâopinion ne va pas au-delĂ , elle ne remet pas en cause le principe mĂȘme de la monarchie, dâune monarchie fidĂšle au mandat tacite que lui a confiĂ© la sociĂ©tĂ©. Un demi-siĂšcle plus tard, la Fronde Ă©clate des centaines de pamphlĂ©taires sâexpriment ; Paris est un immense foyer de bavardages, de racontars, dâintrigues, de complots. Sâil faut Ă lâopinion un centre dâexpression, ce centre existe bien ; mais le principe directeur et fĂ©dĂ©rateur de lâopinion fait dĂ©faut les Parisiens tournent autour du pouvoir royal sans parvenir Ă sâen dĂ©tacher ; dâoĂč cette impression de flottement, de cacophonie. Ici encore lâesprit public, raisonnable et pondĂ©rĂ©, lâemporte ; car chacun sait, par-delĂ les dĂ©bordements dâun instant, que personne, ni les parlements, ni la noblesse, ne peut exercer le pouvoir en France et maintenir lâordre, sauf le roi. 19Reste que la monarchie a bien senti le danger, en dĂ©pit du mĂ©pris affichĂ© par la classe dirigeante pour lâopinion populaire. Cette opinion, il faut la canaliser, lâinstrumentaliser, et, si le pouvoir manque son but, la rĂ©primer. Louis XIV, en ce domaine, nâa nĂ©gligĂ© aucun dĂ©tail. Ă partir de 1667, un lieutenant de Police » dĂ©ploie sa vigilance et son adresse et La Reynie, titulaire de ce poste, est reçu longuement et chaque semaine par le roi. Le courrier des particuliers est ouvert par la poste aux lettres, ce qui permet Ă Louis XIV dâĂȘtre informĂ© des affaires particuliĂšres, mĂȘme de moindre importance. La presse de lâAncien RĂ©gime vit sous le rĂ©gime de lâautorisation prĂ©alable et du privilĂšge. Trois titres de journaux sâimposent et dominent Ă cette Ă©poque la Gazette, le Journal des savants et le Mercure. 20La France, dans cette premiĂšre moitiĂ© du rĂšgne de Louis XIV, donne lâimpression dâun bloc homogĂšne, dâune sociĂ©tĂ© qui rĂȘve dâaccorder Ă chacun une place stable aux paysans installĂ©s souvent depuis des siĂšcles sur des tenures, dont ils finissent par se considĂ©rer comme les vrais propriĂ©taires ; aux artisans-commerçants, qui dĂ©tiennent un monopole de leur mĂ©tier dans le cadre des groupements corporatifs ; aux officiers, propriĂ©taires de leur charge, grĂące au systĂšme de la vĂ©nalitĂ© des offices. Chacun est Ă sa place dans un ensemble dont la cohĂ©sion est assurĂ©e au sommet par la tutelle bienveillante du roi appuyĂ© sur le tiers Ă©tat. 5 Paul Hazard, La crise de la conscience europĂ©enne, op. cit., t. I, Introduction », p. iii-iv. 21Cet ensemble qui, de maniĂšre un peu abstraite, tend Ă une sorte dâharmonie et vise Ă offrir Ă chacun un port et un statut, correspond Ă lâidĂ©al classique. Demeurer, Ă©viter tout changement qui risquerait de dĂ©truire un Ă©quilibre miraculeux, câest le souhait de lâĂąge classique. Elles sont dangereuses, les curiositĂ©s qui sollicitent une Ăąme inquiĂšte. Pascal dĂ©clare que tout le malheur des hommes vient dâune seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre. Lâesprit classique, dans toute sa force, aime la stabilitĂ© ; il voudrait ĂȘtre la stabilitĂ© mĂȘme. La politique, la religion, la sociĂ©tĂ©, lâart, tout est soustrait aux discussions interminables, tout doit Ă©chapper Ă la critique insatisfaite. On voudrait, sâil Ă©tait possible, arrĂȘter le temps5. Ce nâest pas que lâesprit dâexamen soit anĂ©anti, il persiste chez les grands auteurs classiques, mais disciplinĂ©, amorti, puisquâil sâagit de porter jusquâĂ leur dernier point de perfection les chefs-dâĆuvre qui exigent une longue patience. Cet esprit dâexamen subsiste aussi chez les rebelles, qui attendent dans lâombre le moment de mener la contestation gĂ©nĂ©rale. Ce moment ne va pas tarder Ă venir. 2. Le grand renversement 1685-1715 22Le dĂ©cor ne change pas dans la deuxiĂšme moitiĂ© du rĂšgne de Louis XIV, mais lâopinion publique se modifie et le climat intellectuel se transforme profondĂ©ment. Ă cet Ă©gard, deux dates significatives peuvent ĂȘtre retenues. 23En 1685, Louis XIV rĂ©voque lâĂ©dit de Nantes, chassant ainsi hors de France prĂšs de 500 000 protestants. Une Ă©lite intelligente et travailleuse doit sâexiler aux Pays-Bas, en Allemagne, en Angleterre ; de cuisantes humiliations sont infligĂ©es Ă des milliers dâautres personnes. La rĂ©volte des camisards » des CĂ©vennes, au dĂ©but de la guerre de Succession dâEspagne, est une premiĂšre rĂ©plique. Durant trois ans, de 1701 Ă 1704, ces camisards rĂ©ussirent Ă tenir la rĂ©gion et y Ă©tablirent une rĂ©publique ». Lâopposition des protestants trouva de lâĂ©cho chez les jansĂ©nistes quand le roi, poussĂ© par ses scrupules et par son souci de lâunitĂ© morale du pays, ferma Port-Royal des Champs 1709, le fit raser 1712, et pourchassa les Ă©vĂȘques, les prĂȘtres, les fidĂšles qui ne sâinclinaient pas devant la bulle Unigenitus, par laquelle le pape ClĂ©ment XI condamnait solennellement, en 1713, le jansĂ©nisme. Dans ces conditions, une guerre religieuse commença, violente, impitoyable, haineuse. Rien ne rapproche davantage quâune hostilitĂ© commune protestants et jansĂ©nistes, sans devenir amis, se firent alliĂ©s. Se joignirent Ă eux une partie de la haute noblesse, Ă©cartĂ©e du premier cercle qui entourait le roi ; et surtout les parlementaires, qui en voulaient Ă Louis XIV de leur avoir interdit de prĂ©senter des remontrances prĂ©alables en 1673, donc de se mĂȘler de politique, en les rĂ©duisant Ă rendre la justice. Ces parlementaires gardaient aussi rancune au roi de sâĂȘtre inclinĂ© devant Rome, car le gallicanisme, traditionnel dans ce corps, ne flĂ©chissait pas. Enfin, ces hommes graves, sâils ne pouvaient attaquer de front le pouvoir royal, sâen prenaient Ă la compagnie de JĂ©sus et la poursuivaient de leurs mauvais procĂ©dĂ©s. 24Lâautre date importante est celle du dĂ©but de la guerre dite de la ligue dâAugsbourg, en 1688. Cette guerre se terminera en 1697 sans avantage dĂ©cisif. Lui succĂ©dera presque aussitĂŽt lâinterminable lutte autour de la Succession dâEspagne entre 1701 et 1713. Ces conflits continuels devinrent vite impopulaires, car ils ruinaient le commerce, endeuillaient les familles, coĂ»taient trĂšs cher et entraĂźnaient un alourdissement des impĂŽts. LâĂ©conomie stagnait et, mĂȘme, rĂ©gressait. Le royaume traversait une longue pĂ©riode de dĂ©flation. Les mauvaises rĂ©coltes et les famines de 1692 et surtout de 1709 engendrĂšrent la misĂšre et stimulĂšrent les mĂ©contentements. 25Tout semblait maintenant tourner au dĂ©savantage du roi. Mlle de Nantes, quatriĂšme enfant de Louis XIV et de Mme de Montespan, devenue Mme la Duchesse par son mariage avec le petit-fils du Grand CondĂ©, Ă©tait de ceux qui versifiaient contre le roi 6 CitĂ©e par Mathurin-François-Adolphe de Lescure, Les philippiques de La Grange-Chancel, Paris, Poule ... Tant que vous fĂ»tes libertin Vous Ă©tiez maĂźtre du destin, ! pourquoi changer de parti ? Landeriri6. 7 Paul Hazard, La crise de la conscience europĂ©enne, op. cit., t. I., Introduction », p. i. 26Ainsi, les assaillants lâemportaient peu Ă peu. Quel contraste ! Quel brusque passage ! La hiĂ©rarchie, la discipline, lâordre, que lâautoritĂ© monarchique se charge dâimposer, les dogmes qui rĂšglent fermement la vie telles Ă©taient les rĂšgles quâaimaient les hommes du xviie siĂšcle. Ă partir de la fin du rĂšgne de Louis XIV, les contraintes, lâautoritĂ©, les dogmes, voilĂ tout ce qui est, dĂ©sormais, objet de dĂ©testation7. Le roi perd le contrĂŽle de lâopinion publique et de la vie intellectuelle. La contestation sâĂ©largit et se gĂ©nĂ©ralise Ă©galement au domaine politique il semble que le tiers Ă©tat, soutenu par de nombreux publicistes, fasse silencieusement sĂ©cession. 8 Sur les libertins et le libertinage, voir Antoine Adam, Les libertins au xviie siĂšcle, Paris, Buche ... 9 Voir Charles-Antoine Gidel, Ătude sur la vie et les ouvrages de Saint-Ăvremond », dans Charles Hi ... 27La premiĂšre offensive est menĂ©e par ce quâil est convenu dâappeler les libertins. La pensĂ©e indĂ©pendante, qui, depuis Montaigne, nâa jamais abdiquĂ©, se prĂ©cise au dĂ©but du xviie siĂšcle Ă la suite des guerres de Religion. Une cabale libertine, qui unit souvent Ă la libertĂ© dâesprit une extrĂȘme libertĂ© de mĆurs, se forme dĂšs 1615. TraquĂ©s par Richelieu, Ă©troitement surveillĂ©s par Louis XIV, les libertins doivent se cacher pendant de longues annĂ©es. Mais Ă partir de 1680, lorsque lâautoritĂ© royale se relĂąche, ils apparaissent au grand jour, affermissent leurs convictions et se prĂ©parent Ă la lutte. Le libertinage du xviie siĂšcle Ă©tait une attitude dâesprit, lâautonomie morale de lâhomme libre par opposition Ă lâhomme soumis Ă lâautoritĂ© religieuse8. Le reprĂ©sentant le plus caractĂ©ristique de ce courant de pensĂ©e, fondĂ© sur lâindividualisme radical, est sans doute Saint-Ăvremond, dĂ©jĂ fort ĂągĂ©, Ă la fin du xviie siĂšcle. NĂ© en 1613, mort en 1703, Saint-Ăvremond traversa tout le Grand SiĂšcle. PrĂšs de la moitiĂ© de sa vie sâĂ©coula dans lâexil, en Angleterre la plupart du temps, et pour une courte pĂ©riode en Hollande. Ă Londres, il passait le meilleur de sa vie dans la maison dâHortense Mancini, duchesse de Mazarin, lâune des niĂšces du cardinal. Il se crĂ©a de nouvelles habitudes, de nouvelles relations. Aussi, lorsquâen 1689, Louis XIV lui fit connaĂźtre quâil pourrait rentrer en France, il refusa. Il continua de mener en Angleterre une existence agrĂ©able et demeura, jusquâĂ ses derniers jours, Ă©picurien et homme dâesprit9. LâindĂ©pendance de pensĂ©e de Saint-Ăvremond sâexprime surtout en morale et en littĂ©rature. En morale, il est un disciple fervent dâĂpicure. Le souverain bien consiste pour lui Ă sâabandonner Ă la bonne loi naturelle ». Il sâarrangea pour passer doucement sa vie, plus ami de lâindolence que spectateur dâune vertu rigide. La sagesse ne nous a Ă©tĂ© donnĂ©e, suivant lui, que pour nous mĂ©nager des heures agrĂ©ables. Le mot de vertu lâĂ©pouvante 10 Ibid., p. 65. LâĂ©tat de la vertu nâest pas sans peine. On y souffre une contestation Ă©ternelle de lâinclination et du devoir. TantĂŽt on reçoit ce qui choque, tantĂŽt on sâoppose Ă ce qui plaĂźt ; sentant presque toujours de la gĂȘne Ă faire ce que lâon fait, et de la contrainte Ă sâabstenir de ce quâon ne fait pas. Celui de la sagesse est doux et tranquille. La sagesse rĂšgne en paix sur nos mouvements et nâa quâĂ bien gouverner des sujets, au lieu que la vertu avait Ă combattre des ennemis10. Saint-Ăvremond est donc un partisan dĂ©terminĂ© dâun individualisme assumĂ© et radical. 11 Parmi les Ă©ditions relativement rĂ©centes des Ćuvres de Saint-Ăvremond qui nous intĂ©ressent ici, on ... 12 Bernard Le Bovier de Fontenelle est nĂ© le 11 fĂ©vrier 1657 Ă Rouen. Sa mĂšre Ă©tait la sĆur de Pierre ... 13 François Bott, Lâentremetteur..., op. cit., p. 21. 14 CitĂ© par François Bott, ibid., p. 86-87. 28Les progrĂšs de lâesprit dâexamen dĂ©bouchent sur la contestation de la tradition et sur un scepticisme gĂ©nĂ©ralisĂ©. La tradition, illustrĂ©e par la coutume, fut longtemps considĂ©rĂ©e comme lâexpression respectable de lâhistoire et de lâexpĂ©rience accumulĂ©e par les gĂ©nĂ©rations successives. Le traditionalisme du xviie siĂšcle juge quâune proposition est vraie si elle est admise par le consentement universel. Tel nâest pas lâavis de Saint-Ăvremond, de Bayle, de Fontenelle, qui prĂ©sentĂšrent la tradition comme un amas de privilĂšges, de prĂ©jugĂ©s, de croyances absurdes, dâinstitutions inutiles ou nuisibles. La malice irrĂ©ligieuse de Saint-Ăvremond rĂ©duit la foi, dans la Conversation du marĂ©chal dâHocquincourt avec le pĂšre Canaye, Ă une croyance sans fondements raisonnables11. En 1684, dans son court traitĂ© De lâorigine des fables, Fontenelle12 attribue la croyance au surnaturel Ă lâignorance des premiers hommes qui imaginĂšrent, pour expliquer les phĂ©nomĂšnes naturels, lâintervention de divinitĂ©s supĂ©rieures. Ă travers lâexemple des mythes paĂŻens, câest, bien entendu, le christianisme qui est visĂ©. En 1687, lâauteur rouennais prolonge sa rĂ©flexion dans son Histoire des oracles. Les premiers chrĂ©tiens, nous dit-il, ont cru que les oracles paĂŻens Ă©taient lâĆuvre des dĂ©mons ; Fontenelle entend dĂ©montrer que les oracles ne pouvaient ĂȘtre rendus par les dĂ©mons puisquâils Ă©taient dus aux artifices des prĂȘtres qui exploitaient la crĂ©dulitĂ© des fidĂšles. Avec ses livres sur les oracles et sur les fables, il a Ă©crit une histoire de tous les mensonges. Il a dĂ©peint cette terrible crĂ©dulitĂ© humaine qui, venant de notre misĂšre et de notre faiblesse, nous fait admettre si facilement ce qui rĂ©pond Ă nos espĂ©rances13. » Enfin, dans ses Entretiens sur la pluralitĂ© des mondes de 1686, Fontenelle met lâastronomie Ă la portĂ©e du grand public cultivĂ©. Pour vulgariser le systĂšme de Copernic, il est amenĂ© Ă rĂ©flĂ©chir sur quelques idĂ©es scepticisme Ă lâĂ©gard de la mĂ©taphysique et du merveilleux, satire des hommes qui se croient au centre de lâunivers et affirmation du relativisme. On trouve cette maxime dans ses Entretiens Il faut ne donner que la moitiĂ© de son esprit aux choses que lâon croit, et en rĂ©server une autre moitiĂ© libre, ou le contraire puisse ĂȘtre admis sâil en est besoin14. » 15 Ibid., p. 24. 29La dĂ©fĂ©rence quelque peu ironique avec laquelle Fontenelle sâincline Ă lâavance devant la majestĂ© encore imposante du dogme est de style libertin. Les philosophes du xviiie siĂšcle, Ă©crit Thierry Maulnier, auront plus dâaudace et de violence, mais cette dĂ©sinvolture dans le respect, ces phrases de soumission Ă©crites sur des pages oĂč il est aisĂ© de discerner les filigranes de lâinsolence, tout cela ne peut nous tromper Fontenelle est dĂ©jĂ de leur camp15. » La vocation de Fontenelle Ă©tait prĂ©cisĂ©ment de mĂ©nager les premiĂšres entrevues entre le vieux xviie siĂšcle et le jeune xviiie. 16 Pierre Bayle est nĂ© en 1647 dans un village des PyrĂ©nĂ©es. Son pĂšre Ă©tait pasteur de lâĂglise rĂ©form ... 30Pierre Bayle est Ă©galement dâun scepticisme radical en philosophie, comme le montre son Dictionnaire historique et critique, recueil dâarticles concernant des noms propres historiques ou gĂ©ographiques16. De cette Ă©norme compilation se dĂ©gage lâimpression que lâhistoire humaine regorge de crimes. DâoĂč le scepticisme Ă peu prĂšs total de Bayle. La contradiction perpĂ©tuelle des tĂ©moignages, lâincertitude mĂȘme qui pĂšse sur les faits historiques aboutissent Ă ruiner lâhistoire et donnent lâimpression que les opinions opposĂ©es sont Ă©galement incertaines ; cette incertitude des connaissances et des interprĂ©tations est le fondement de la tolĂ©rance. Par-lĂ , Bayle est le pĂšre des philosophes du xviiie siĂšcle, qui puiseront sans cesse dans son Dictionnaire. Voltaire est imprĂ©gnĂ© de son Ćuvre, et lâEncyclopĂ©die est inspirĂ©e par la mĂ©thode et par lâesprit de son Dictionnaire. 17 Il y a, chez Fontenelle, une conviction trĂšs forte rien nâest certain or ce qui est dĂ©montrĂ© par ... 18 Cette croyance dans le progrĂšs dĂ©bouche chez Fontenelle sur une forme dâoptimisme rationnel Un ... 31Le scepticisme Ă©branle la tradition et la religion ; en revanche, il respecte lâexpĂ©rience scientifique et a tendance Ă tout examiner Ă la lumiĂšre de la raison pour en tirer des conclusions pratiques. Telle Ă©tait dĂ©jĂ lâattitude des libertins vers le milieu du xviie siĂšcle. Tel est aussi le souci de Fontenelle qui, dans ses Entretiens manifeste sa foi dans la mĂ©thode scientifique17 et affirme sa croyance au progrĂšs qui fera de lâhomme le maĂźtre de la nature18. Le propos de Pierre Bayle est du mĂȘme ordre. Dans ses PensĂ©es sur la comĂšte 1682, il affirme la primautĂ© de lâexpĂ©rience et de lâesprit scientifique, lâincompatibilitĂ© entre le mystĂšre religieux et la raison. 32Libertinage, poussĂ©e de lâindividualisme et de lâesprit dâexamen, scepticisme dĂ©terminĂ©, foi dans la raison humaine, dans le dĂ©veloppement de la science et du progrĂšs ainsi, Ă peu prĂšs toutes les attitudes mentales dont lâensemble aboutira Ă la RĂ©volution française ont Ă©tĂ© adoptĂ©es avant la fin du rĂšgne de Louis XIV. Passage de la stabilitĂ© au mouvement. DĂšs que le classicisme a cessĂ© dâĂȘtre un effort, une volontĂ©, une adhĂ©sion rĂ©flĂ©chie, pour se transformer en habitudes et en contraintes, les tendances contestataires et novatrices, toutes prĂȘtes, ont repris leur force et leur Ă©lan. Les discussions se tendent et sâaigrissent ; et les autoritĂ©s perdent progressivement le contrĂŽle de la vie intellectuelle. Il y a, cependant, plus grave encore le contrat tacite entre le roi et son peuple, qui faisait du monarque le rempart et le dĂ©fenseur du tiers Ă©tat, ce contrat a perdu sa valeur fondamentale. Le roi, pas plus quâil ne contrĂŽle lâopinion publique et la vie intellectuelle, ne peut dĂ©sormais empĂȘcher la vie politique de se dĂ©ployer en dehors de son emprise. 33Les auteurs les plus pĂ©nĂ©trants soulignent dâabord que le tiers Ă©tat, souvent repoussĂ© Ă la marge des interprĂ©tations politiques, est bien au cĆur de la vie sociale. Vauban montre par exemple lâimportance dĂ©terminante du tiers Ă©tat et surtout des couches populaires 19 SĂ©bastien Le Prestre de Vauban, Projet dâune dĂźme royale..., s. l., 1707, p. 17. Câest encore la partie basse du peuple, Ă©crit-il, qui, par son travail et son commerce, et par ce quâelle paie au roi, lâenrichit et tout son royaume ; câest elle qui fournit tous les soldats et matelots de ses armĂ©es de terre et de mer, et grand nombre dâofficiers, tous les marchands et les petits officiers de judicature ; câest elle qui remplit tous les arts et mĂ©tiers ; câest elle qui fait tout le commerce et les manufactures de ce royaume, qui fournit tous les laboureurs, vignerons et manouvriers de la campagne ; qui garde et nourrit les bestiaux ; qui sĂšme les blĂ©s et les recueille ; qui façonne les vignes et fait le vin ; et pour achever de le dire en peu de mots, câest elle qui fait tous les gros et menus ouvrages de la campagne et des villes. VoilĂ en quoi consiste cette partie du peuple, si utile et si mĂ©prisĂ©e, qui a tant souffert, et qui souffre tant Ă lâheure que jâĂ©cris ceci19. 34Cet extrait capital est tirĂ© de lâouvrage majeur de Vauban, le Projet dâune dĂźme royale, Ă©crite en 1699 et imprimĂ©e en 1707, lâannĂ©e de la mort de son auteur. 35Or le tiers Ă©tat est mal gouvernĂ©. Des rĂ©formes sont donc indispensables. Les prĂ©conisations sont ici multiples. FĂ©nelon, lâauteur des Aventures de TĂ©lĂ©maque 1699, se retranche derriĂšre lâĂ©loquence sacrĂ©e pour marquer son hostilitĂ© profonde Ă Louis XIV et Ă son absolutisme 20 François de FĂ©nelon, Les Aventures de TĂ©lĂ©maque, fils dâUlysse..., Leyde-Amsterdam, Wetstein-Chatel ... Avez-vous cherchĂ© les gens les plus dĂ©sintĂ©ressĂ©s et les plus propres Ă vous contredire ? Avez-vous pris soin de faire parler les hommes les moins empressĂ©s Ă vous plaire, les plus dĂ©sintĂ©ressĂ©s dans leur conduite, les plus capables de condamner vos passions et vos sentiments injustes ? Quand vous avez trouvĂ© des flatteurs, les avez-vous Ă©cartĂ©s ? Vous en ĂȘtes-vous dĂ©fiĂ© ? Non, non, vous nâavez point fait ce que font ceux qui aiment la vĂ©ritĂ©, et qui mĂ©ritent de la connaĂźtre. Pendant que vous aviez au dehors tant dâennemis qui menaçaient votre royaume encore mal Ă©tabli, vous ne songiez au-dedans de votre nouvelle ville quâĂ y faire des ouvrages magnifiques... Vous avez Ă©puisĂ© vos richesses ; vous nâavez songĂ© ni Ă augmenter votre peuple ni Ă cultiver les terres fertiles... Une vaine ambition vous a poussĂ© jusques au bord du prĂ©cipice. Ă force de vouloir paraĂźtre grand, vous avez pensĂ© ruiner votre vĂ©ritable grandeur20... 36Lâattaque est violente. FĂ©nelon sera bientĂŽt disgraciĂ© et exilĂ© » dans son archevĂȘchĂ© de Cambrai. 37NĂ©anmoins, les rĂ©formes prĂ©conisĂ©es par FĂ©nelon ne vont pas dans le sens de lâĂ©mancipation du tiers Ă©tat. On voit bien, Ă lire son texte, que le peuple est ici lâobjet de la sollicitude du prĂ©lat, et non pas le sujet actif et lâartisan de son propre destin. FĂ©nelon, en effet, prĂ©pare avec ses amis de la haute noblesse, les ducs de Chevreuse, de Beauvilliers et de Saint-Simon un plan de gouvernement, les Tables de Chaulnes 1711, comportant la restauration des gouverneurs, des Ă©tats gĂ©nĂ©raux et provinciaux dotĂ©s de pouvoirs lĂ©gislatifs et administratifs, dominĂ©s par la noblesse. Ce projet quâon peut, sans hĂ©sitation qualifier de rĂ©trograde », comporte aussi la suppression des intendants. La rĂ©volution des ducs et pairs prĂ©conisĂ©e par FĂ©nelon annonce toute une sĂ©rie de projets dâinspiration aristocratique, qui vont prolifĂ©rer au xviiie siĂšcle. 21 Sur Boisguilbert, on peut consulter Jacqueline Hecht, Pierre de Boisguilbert ou la naissance de l ... 38Les vues de Vauban et de Boisguilbert sont dâune portĂ©e bien diffĂ©rente. Vauban voudrait rĂ©habiliter le menu peuple », le soulager par une rĂ©partition plus Ă©quitable des impĂŽts, sans exemption ni privilĂšge la dĂźme royale », payĂ©e par tous, porterait aussi bien sur les revenus de toutes les professions salaires, industries, immeubles que sur les produits de la terre. Une dĂźme Ă©tablie sans arbitraire coĂ»terait moins et rendrait plus. Boisguilbert, lieutenant-gĂ©nĂ©ral au bailliage de Rouen a publiĂ© en 1697 un ouvrage dâun esprit tout nouveau, qui Ă©tudie lâorigine de la richesse et de la prospĂ©ritĂ© Ă©conomique, Le DĂ©tail de la France, sous-titrĂ© La cause de la diminution de ses biens et la facilitĂ© du remĂšde. Lâappauvrissement de la France rĂ©sulte, selon lâauteur, de lâabandon de la culture et de la sous-consommation, idĂ©e qui sera reprise par les physiocrates. Boisguilbert montre que la France, jadis le plus riche royaume du monde, a perdu une part importante de ses revenus annuels ; et ce dĂ©ficit augmente sans cesse. La taille est si injustement rĂ©partie quâelle pĂšse sur les pauvres en Ă©pargnant les riches ; les pauvres sont devenus misĂ©rables, le royaume tout entier court vers sa perte. Il suggĂšre en consĂ©quence la suppression des douanes intĂ©rieures et, pour la premiĂšre fois, la rĂ©partition de lâimpĂŽt selon les revenus21. 39Boisguilbert et Vauban, loin dâĂȘtre des rĂ©voltĂ©s, cherchent Ă assainir les finances et Ă procurer au roi les ressources quâil recherche dĂ©sespĂ©rĂ©ment. Ils nâen agissent pas moins en intrus qui empiĂštent sur un domaine, autrefois rĂ©servĂ© le Projet dâune dĂźme royale sera condamnĂ© au feu. Mais il est remarquable quâĂ la fin du siĂšcle, sous un rĂ©gime absolu, des Ă©crivains aient voulu rappeler le roi Ă ses devoirs et lui suggĂ©rer des rĂ©formes. Lâesprit français sâoriente vers dâautres conceptions du gouvernement. 22 Par exemple dans le volume Ăconomistes-financiers du xviiie siĂšcle [Vauban, Boisguilbert, Jean Law, ... 40Le roi se trouvait Ă©galement dĂ©possĂ©dĂ© par une affirmation Ă©tonnante, rĂ©sumĂ©e en une formule dans les Ă©ditions du xixe siĂšcle Les lois de lâordre Ă©conomique ne se violent jamais impunĂ©ment22. » Le roi aura beau faire, il ne peut, tout absolu que soit son pouvoir, violer impunĂ©ment les lois Ă©conomiques. On est ici, dĂšs la fin du xviie siĂšcle, au commencement de cette science Ă©conomique qui se dĂ©ploiera une cinquantaine dâannĂ©es plus tard. 41Le roi est encore dĂ©possĂ©dĂ© par la pensĂ©e politique dâorigine anglaise. Louis XIV Ă©tait le reprĂ©sentant glorieux du droit divin. Par une thĂ©orie toute diffĂ©rente de celle de Bossuet, Hobbes soutenait de mĂȘme la nĂ©cessitĂ© du pouvoir absolu, le LĂ©viathan. Le droit naturel va naĂźtre dâune philosophie qui nie le surnaturel, le divin, et substitue lâordre immanent de la nature Ă lâaction et Ă la volontĂ© personnelle de Dieu. John Locke, en politique, a combattu la thĂ©orie du droit divin dans son livre de 1689 Deux traitĂ©s de gouvernement. Selon lui, en droit naturel, les hommes sont libres et Ă©gaux ; câest en vertu dâun pacte social quâils dĂ©lĂšguent le pouvoir Ă une autoritĂ© pour quâelle protĂšge cette libertĂ© et cette Ă©galitĂ© primitives. Le gouvernement doit donc ĂȘtre Ă©lu et, Ă la mode anglaise, garantir la libertĂ© du peuple par la sĂ©paration des pouvoirs. 23 Paul Hazard, op. cit., t. I, Introduction », p. iv-v. 42De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le principe dâautoritĂ© est remis en cause. On insistait, dans lâancienne France, sur les devoirs de lâhomme envers les communautĂ©s auxquelles il appartient la communautĂ© humaine, dâoĂč le respect de ses devoirs envers Dieu ; la communautĂ© familiale, dâoĂč lâobĂ©issance due par la femme Ă son mari et par les enfants Ă leurs parents ; la communautĂ© politique, dâoĂč le devoir dâobĂ©issance au roi, lieutenant de Dieu sur terre. Ă lâĂ©numĂ©ration des devoirs, la philosophie nouvelle va prĂ©fĂ©rer lâĂ©noncĂ© des droits de lâĂȘtre humain droits de la conscience individuelle, droits de la raison, droits de la critique, droits de lâhomme et du citoyen23. Ces droits sont universels et imprescriptibles. Quant Ă lâautoritĂ© qui rĂšgle arbitrairement les rapports des sujets et du prince, elle doit ĂȘtre rejetĂ©e et remplacĂ©e par un droit nouveau, dâoĂč sortira peut-ĂȘtre le bonheur, un droit politique qui fixe les rapports sociaux avec lâidĂ©e que ce sont les peuples eux-mĂȘmes qui dirigent leur propre destin. 43En dĂ©pit des interdictions et des censures, lâeffervescence intellectuelle semble irrĂ©pressible. Les vieilles thĂ©ories du droit divin sont submergĂ©es par des reprĂ©sentations politiques nouvelles qui prĂ©figurent, par leur audace, les grands dĂ©bats de la deuxiĂšme moitiĂ© du xviiie siĂšcle. Paradoxalement, lâessentiel nâest peut-ĂȘtre pas lĂ ; Ă©crivains et publicistes ne lancent des Ă©crits de portĂ©e significative que dans la mesure oĂč ils portent la parole et les aspirations du tiers Ă©tat. Or, la sociĂ©tĂ© française, dans ses derniĂšres annĂ©es du rĂšgne de Louis XIV, est silencieuse. Le temps des barricades, des soulĂšvements, des Ă©motions populaires est terminĂ© depuis longtemps. La sociĂ©tĂ© nâest pas pour autant subjuguĂ©e ; son silence est lourd de rĂ©probation. Il nâest pas excessif de prĂ©tendre que le mandat tacite qui liait la monarchie et le tiers Ă©tat depuis deux siĂšcles ne vaut plus. Les contemporains nâen avaient peut-ĂȘtre pas parfaitement conscience. Selon la fameuse formule de Marx, les hommes ne savent pas lâhistoire quâils font ». Les historiens, ici, ont un avantage avec un recul de trois siĂšcles, il leur est plus facile de dĂ©mĂȘler lâĂ©cheveau des Ă©vĂ©nements et de leur signification. On devine mieux aujourdâhui que la confiance perdue entre le roi et son peuple ne se rĂ©tablira pas, et que la RĂ©volution est en marche. Le tiers Ă©tat a trop souffert au cours des trente annĂ©es qui finissent le rĂšgne la stagnation Ă©conomique, la misĂšre, suite des mauvaises rĂ©coltes, des guerres et des accidents climatiques, la lourdeur des impĂŽts, lâisolement du roi, tout a contribuĂ© Ă dĂ©tourner les Français dâun monarque lointain, et qui paraĂźt indiffĂ©rent. Le roi est enfermĂ© Ă Versailles, entourĂ© dâune petite cour de favoris, dâune oligarchie de privilĂ©giĂ©s, coupĂ©s des rĂ©alitĂ©s sociales. Les gens subissent en silence, avec patience, les mauvais procĂ©dĂ©s des autoritĂ©s. Mais leur confiance dans leur roi est Ă©branlĂ©e, elle est mĂȘme perdue et ne reviendra plus. Et câest sous les huĂ©es de la foule des badauds que le corbillard du roi sâacheminera de Versailles Ă la nĂ©cropole de Saint-Denis. 44Tout est donc fini en 1715. Le roi, pourtant, continue Ă jouer imperturbablement son rĂŽle sur le théùtre dâombres quâest devenu son palais. Avec une montre, dit Saint-Simon, on peut savoir Ă toute heure du jour quelle est lâoccupation et lâemploi du temps du roi. La machine monarchique fonctionne sans Ă -coups le jeu alterne avec la promenade dans les jardins, les rĂ©unions avec les ministres suivent la messe et la chasse prĂ©cĂšde souvent le souper. Dans lâaccomplissement de sa tĂąche, Louis XIV fait preuve dâun vĂ©ritable hĂ©roĂŻsme ; ainsi, trois semaines avant sa mort, debout pendant deux heures dans la galerie des Glaces, il reçoit lâambassadeur de Perse, alors que sa jambe est dĂ©jĂ attaquĂ©e par la gangrĂšne. Sâil sâapplique, câest quâil semble croire Ă la durĂ©e de son Ćuvre. Rien ou presque ne nous autorise Ă croire que, pour le roi, Ă lâheure de disparaĂźtre, la digue dressĂ©e au prix de tant dâefforts ne tiendra pas mieux que le chĂąteau fort des enfants anĂ©anti par la marĂ©e du soir. Il y a aussi ces paroles prĂȘtĂ©es par la tradition au roi moribond Je mâen vais, mais lâĂtat subsistera toujours ». 24 CitĂ©e par Henry de Montherlant, Va jouer avec cette poussiĂšre. Carnets 1958-1964, Paris, Gallimard, ... 45Il est vrai que lâĂtat sâest structurĂ© et affermi au cours de ce long rĂšgne, que lâappareil administratif, sans ĂȘtre, et de loin, aussi perfectionnĂ© quâaujourdâhui, a poussĂ© ses tentacules jusquâaux extrĂ©mitĂ©s du corps social. Mais si lâĂtat se renforce, la monarchie, elle, est gravement dĂ©lĂ©gitimĂ©e, frappĂ©e dâune maladie de langueur qui la conduira Ă la mort. Cette situation nouvelle, le roi ne paraĂźt pas en avoir mesurĂ© la gravitĂ©. Il nâest pas possible de dire que Louis XIV eĂ»t pu reprendre Ă son compte cette dĂ©claration de PompĂ©e, rapportĂ©e par Dion Cassius Tu te souviens de ces serpents qui, quand nous arrivĂąmes en Ăpire, effaçaient derriĂšre nous la trace de nos pas ? Dâautres serpents viendront, et tout sera effacĂ©24. »
LesĂ©crivains ne sont globalement pas en reste dans ces critiques, et cependant, de Mac Orlan, Maeterlinck, Cocteau, Cendrars, ValĂ©ry ou Paul Eluard Ă Pierre Bergounioux, Pierre Michon, Antoine Volodine ou François Bon, on trouve aisĂ©ment et mĂȘme chez les plus rĂ©ticents des pages Ă©vocatrices de bonheurs dâĂ©coute, de rĂ©vĂ©lations, dâinstants parfaits. Pages suscitĂ©es par
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Solutions Codycross pour d'autres languesVOLTAIRE est une rĂ©fĂ©rence souvent retrouvĂ©e dans les citations qui illustrent le libellĂ© des sujets de culture gĂ©nĂ©rale. Voici un rĂ©sumĂ© de sa vie et de ses pensĂ©es afin de vous Ă©clairer sur son portrait si besoin il en Ă©tait⊠VOLTAIRE François-Marie Arouet est un artiste, Ă©crivain et philosophe français nĂ© le 21 novembre 1694et dĂ©cĂ©dĂ© le 30 mai1778 Ă lâĂąge de 83 ans. Au XVIII° siĂšcle, Ă une Ă©poque oĂč la culture française dominait en Europe, Voltaire dominait la culture française. Son Ćuvre comprend un vaste ensemble dâĂ©crits dans tous les genres littĂ©raires, dont 56 piĂšces de théùtre,des dialogues, des ouvrages historiques, des romans et des contes, des vers et de la poĂ©sie Ă©pique, des essais, des articles scientifiques et culturels, des pamphlets, de la critique littĂ©raire et plus de 20 000 lettres. Voltaire est nĂ© le 21 novembre 1694 et vĂ©cut jusquâĂ lâĂąge de 83 ans. Il choisit la carriĂšre des Lettres contre la volontĂ© de son pĂšre, qui disait quâil ne pourrait pas vivre de sa plume. Quoi quâil en soit, Voltaire fĂ»t Ă la fois un Ă©crivain renommĂ© et un homme riche. Voltaire est connu pour ses Ă©crits philosophiques, pour sa grande ironie et pour sa lutte contre lâinjustice, lâintolĂ©rance, la cruautĂ© et la guerre. En France, au XVIII° siĂšcle, il Ă©tait un Ă©crivain menant le combat pour des rĂ©formes politiques et sociales. Comme ses Ă©crits critiquaient le roi et lâEglise, il vĂ©cut la plus grande partie de sa vie dans la crainte constante dâĂȘtre emprisonnĂ©. Câest pourquoi il passa relativement peu dâannĂ©es Ă Paris y sĂ©journer Ă©tait pour lui soit interdit, soit trop dangereux. Voltaire Ă©tait fils de notaire. De 9 Ă 17 ans, il suivit les cours du collĂšge jĂ©suite Louis-Le-grand. Quand il lâeut quittĂ©, son pĂšre lui trouva une place dans un cabinet dâavocats, mais il dĂ©sirait se consacrer Ă la littĂ©rature. Il passait la majeure partie de son temps dans les salons et devint lâanimateur de la sociĂ©tĂ© parisienne. En 1717, Voltaire fut arrĂȘtĂ© et envoyĂ© Ă la Bastille pour offenses envers le rĂ©gent, Philippe II dâOrlĂ©ans. Il fut libĂ©rĂ© onze mois plus tard quand il fut Ă©tabli quâil avait Ă©tĂ© accusĂ© faussement. Pendant son emprisonnement, il Ă©crivit sa premiĂšre piĂšce, Ćdipe », qui lui acquit beaucoup dâestime quand elle fut jouĂ©e Ă sa sortie de prison. Voltaire continua Ă Ă©crire pour le théùtre et croyait quâil pourrait gagner Ă la fois gloire et richesse dans la carriĂšre quâil avait choisie. En 1726, au théùtre, Voltaire fit une remarque habile au Chevalier de Rohan, un jeune noble, qui comprit que Voltaire le mĂ©prisait. Pour se venger, Rohan fit rosser Voltaire par ses gens, tandis quâil regardait la bastonnade de son carrosse. Bien quâil nâait pas Ă©tĂ© trĂšs athlĂ©tique, Voltaire prit des leçons dâescrime afin de provoquer Rohan en duel. Pour Ă©viter une affaire, la puissante famille de Rohan fit publier une lettre de cachet et Voltaire fut arrĂȘtĂ© et jetĂ© Ă la Bastille. Il fut relĂąchĂ© contre la promesse quâil quitterait le pays et irait en Angleterre. LâĂ©pisode avec le chevalier de Rohan laissa sur Voltaire une empreinte indĂ©lĂ©bile et Ă partir de ce moment-lĂ il devint un dĂ©fenseur de la rĂ©forme de la justice et de la sociĂ©tĂ©. Pendant son sĂ©jour en Angleterre, il rencontra les intellectuels les plus importants du pays. Il fut impressionnĂ© par la plus grande libertĂ© dâopinion quâil y avait en Angleterre et fut profondĂ©ment influencĂ© par Isaac Newton et John Locke. Quand il fut autorisĂ© Ă rentrer en France, Voltaire assura sa situation financiĂšre puis poursuivit sa carriĂšre littĂ©raire en ayant pour but dâĂ©tablir la vĂ©ritĂ©, de la publier dans ses Ćuvres et dâagir pour la rĂ©forme de la sociĂ©tĂ©. Par ses Ă©crits, Voltaire essaya dâamener une rĂ©forme des structures sociales et judiciaires de lâĂ©poque. Au XVIII° siĂšcle, en France, la totalitĂ© du pouvoir Ă©tait entre les mains du roi et de lâEglise. LâEglise enseignait que lâautoritĂ© pour dĂ©terminer ce qui Ă©tait bon et ce qui Ă©tait mauvais Ă©tait entiĂšrement dĂ©volue au roi par Dieu. Le roi Ă©tait complĂštement au-dessus des lois; son bon plaisir Ă©tait la loi. LâEglise inculquait, Ă lâopinion gĂ©nĂ©rale, le respect de la monarchie de droit divin et, en retour, le roi protĂ©geait lâautoritĂ© de lâĂ©glise catholique en France. Ainsi, câĂ©tait un systĂšme de contrĂŽle des consciences, et tant que le peuple croyait au droit divin des rois, les rois et lâEglise, et ceux qui avaient une fonction Ă leur service les nobles et le haut-clergĂ© maintenaient leurs privilĂšges par rapport au reste de la population. Il nâĂ©tait pas facile dâĂȘtre un Ă©crivain favorable Ă la rĂ©forme de la sociĂ©tĂ© au XVIII° siĂšcle en France. Tous les Ă©crits Ă©taient examinĂ©s par les censeurs officiels avant de pouvoir ĂȘtre publiĂ©s. En 1741 il y avait soixante-seize censeurs officiels. Avant que le livre nâobtienne la permission et le privilĂšge du roi », le censeur devait attester que le livre ne contenait rien de contraire Ă la religion, Ă lâordre public ou aux bonnes mĆurs. Un livre publiĂ© sans la permission du gouvernement pouvait ĂȘtre brĂ»lĂ© par lâexĂ©cuteur public, lâimprimeur et lâauteur arrĂȘtĂ©s et mis en prison. Beaucoup dâĆuvres de Voltaire furent brĂ»lĂ©es par lâexĂ©cuteur public. En 1757, un homme du nom de Damiens tenta dâassassiner Louis XV. En rĂ©ponse Ă cet attentat sur le roi, un nouvel Ă©dit stipula que quiconque serait convaincu dâavoir Ă©crit ou imprimĂ© des Ćuvres tendant Ă attaquer le pouvoir ou la religion, ou Ă troubler lâordre et la tranquillitĂ© du royaume, serait mis Ă mort. En 1764 un autre dĂ©cret interdit la publication dâĂ©crits sur les finances de lâEtat. Livres, pamphlets et mĂȘme prĂ©faces de piĂšces de théùtre Ă©taient soumis Ă un examen dĂ©taillĂ© et contrĂŽlĂ©. Des sentences qui allaient du pilori Ă neuf ans de galĂšres furent prononcĂ©es pour la vente ou lâachat de publications critiquant lâordre Ă©tabli. Pendant presque toute sa vie Voltaire jugea nĂ©cessaire dâavoir toujours prĂȘt de lui les moyens de fuir sâil apprenait que la police le recherchait. A cause de lois de censure, Voltaire Ă©crivit frĂ©quemment de maniĂšre anonyme et la vente de la plupart de ses livres Ă©tait interdite. Mais en raison de son talent dâĂ©crivain et de son esprit Ă©tincelant, un texte de Voltaire qui Ă©tait interdit Ă©tait finalement trĂšs demandĂ©. Voltaire et les autres Ă©crivains français qui voulaient Ă©chapper Ă la censure faisaient imprimer leurs Ćuvres Ă Amsterdam, La Haye ou GenĂšve puis les faisaient entrer clandestinement en France. Voltaire nia ĂȘtre lâauteur de beaucoup de ses Ă©crits et parfois mĂȘme rĂ©digea la critique ou la dĂ©nonciation de ses propres livres. Il utilisait aussi dâautres moyens pour masquer ses idĂ©es sur la nĂ©cessitĂ© de rĂ©former la sociĂ©tĂ©. Ses piĂšces et ses contes contenant des exemples dâinjustice similaires Ă ce qui se passait en France Ă©taient souvent situĂ©s dans le passĂ© ou dans des pays Ă©trangers voire imaginaires. Une autre technique consistait Ă publier sans faire de conclusion et Ă laisser le lecteur ou la lectrice faire son propre jugement. Voltaire Ă©tait souvent appelĂ© le GĂ©nie de la Moquerie. Il utilisait la logique et lâhumour pour dĂ©montrer que lâopinion opposĂ©e Ă la sienne Ă©tait ridicule, et dans cette technique, Voltaire Ă©tait passĂ© maĂźtre. Les droits dâauteur nâexistaient pas Ă cette Ă©poque et il Ă©tait normal pour les Ă©diteurs dâimprimer tout ce qui tombait entre leurs mains et de ne pas partager leurs bĂ©nĂ©fices avec lâĂ©crivain. Câest pourquoi Voltaire retira trĂšs peu de profit de ses Ă©crits. Il comprit trĂšs tĂŽt quâil Ă©tait nĂ©cessaire dâavoir des moyens de subsistance indĂ©pendants sâil voulait encourager la rĂ©forme de la sociĂ©tĂ© par ses livres. Voltaire Ă©tait devenu finalement millionnaire vers la quarantaine. Quand il avait une vingtaine dâannĂ©es, il cultiva lâamitiĂ© de riches banquiers, en particulier des frĂšres Paris. Câest par eux quâil apprit Ă investir, Ă spĂ©culer etc.⊠les frĂšres Paris avaient un contrat pour fournir Ă lâarmĂ©e française nourriture et munitions et ils lâinvitĂšrent Ă participer avec eux Ă cette entreprise extrĂȘmement profitable. Quand il Ă©tait en Angleterre, il remarqua quâon pouvait gagner beaucoup dâargent dans le commerce extĂ©rieur et il investit dans des bateaux qui naviguaient autour du monde. Il investit aussi dans les Ćuvres dâart, prĂȘta Ă des particuliers et prit des intĂ©rĂȘts sur les prĂȘts. Le secrĂ©taire de Voltaire, Longchamp, rapporte que les revenus de Voltaire en 1749 Ă©taient de 80 000 francs, ce qui correspond approximativement Ă 600 000 $ 592 200 Euros actuellement. Voltaire garda des placements qui rapportaient beaucoup dans plusieurs pays Ă©trangers. Cela Ă©tait fait pour assurer ses moyens de subsistance au cas oĂč il aurait Ă quitter la France rapidement. Dans son Ćuvre, il dĂ©nonce la guerre, lâintolĂ©rance religieuse et lâinjustice politique et sociale. Ses Ă©crits ont eu une grande influence sur la RĂ©volution française de 1789 et sur la RĂ©volution amĂ©ricaine de 1776. Il faut lire les livres de Voltaire pour comprendre pourquoi il fut considĂ©rĂ© comme le plus grand Ă©crivain de son temps en Europe et pourquoi il est encore Ă©coutĂ© aujourdâhui. Voici quelques pensĂ©es de François-Marie Arouet, dit Voltaire. Voltaire philosophe ? Cela fera sourire certains. Car sâil nâa pas construit de systĂšme philosophique Voltaire nâest dâailleurs pas au programme de terminale, sa philosophie reste dâune influence majeure sur la pensĂ©e des LumiĂšres. Son Candide ridiculisera la pensĂ©e de Leibniz, son pacifisme influencera Alain, il popularisera le libĂ©ralisme anglais de Locke et dialoguera de son vivant avec Rousseau sur la politique et lâĂ©tat de nature. Voici les citations cĂ©lĂšbres de Voltaire sur les principaux thĂšmes de sa philosophie la religion et la politique. Voltaire et la religion â âTant quâil y aura des fripons et des imbĂ©ciles, il y aura des religions. La nĂŽtre est sans contredit la plus ridicule, la plus absurde, et la plus sanguinaire qui ait jamais infectĂ© le mondeâ â âLâunivers mâembarrasse, et je ne puis songer â Que cette horloge existe et nâait point dâhorlogerâ â âLe fanatisme est Ă la superstition ce que le transport est Ă la fiĂšvre, ce que la rage est Ă la colĂšreâ â âLa superstition est Ă la religion ce que lâastrologie est Ă lâastronomie, la fille trĂšs folle dâune mĂšre trĂšs sageâ â âSi Dieu nâexistait pas, il faudrait lâinventerâ â âLe Christianisme est la superstition la plus infĂąme qui ait jamais abruti les hommes et dĂ©solĂ© la terreâ â âSi Dieu nous fait Ă son image, nous le lui avons bien renduâ â âDieu nâa crĂ©e les femmes que pour apprivoiser les hommesâ Voltaire et la libertĂ© dâexpression â âJe ne suis pas dâaccord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusquâĂ la mort pour que vousayez le droit de le direâ Voltaire et la mĂ©taphysique â âLâespĂšce humaine est la seule qui sache quâelle doit mourirâ â âOn aime la vie, mais le nĂ©ant ne laisse pas dâavoir du bonâ â âJe mâarrĂȘterais de mourir sâil me venait un bon motâ Voltaire et la politique â âLâart de gouverner consiste Ă prendre le plus dâargent possible Ă une catĂ©gorie de citoyens afin de le donner Ă une autreâ â âComme le despotisme est lâabus de la royautĂ©, lâanarchie est lâabus de la dĂ©mocratieâ â âQuand la populace se mĂȘle de raisonner, tout est perduâ â âIl vaut mieux hasarder de sauver un coupable plutĂŽt que de condamner un innocentâ â âLes hommes, avec des lois sages, ont toujours des coutumes insensĂ©esâ â âLa politique a sa source dans la perversitĂ© plus que dans la grandeur de lâesprit humainâ Voltaire, lâĂ©galitĂ© et le peuple â âIl est Ă propos que le peuple soit guidĂ©, et non pas quâil soit instruit; il nâest pas digne de lâĂȘtreâ â âLe systĂšme de lâĂ©galitĂ© mâa toujours paru lâorgueil dâun fouâ â âJe ne connais guĂšre que Jean-Jacques Rousseau Ă qui on puisse reprocher ces idĂ©es dâĂ©galitĂ© et dâindĂ©pendance, et toutes ces chimĂšres qui ne sont que ridiculesâ â âLe travail Ă©loigne de nous trois grands maux lâennui, le vice et le besoinâ Voltaire, Leibniz et lâoptimisme â âSi câest ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ?â issue de Candide â âLâoptimisme est la rage de soutenir que tout est bien quand on est malâ â âIl faut cultiver notre jardinâ issue de Candide
Eneffet, nous avons prĂ©parĂ© les solutions de Word Lanes Ăcrivain critiquant la sociĂ©tĂ© et les hommes. Ce jeu est dĂ©veloppĂ© par Fanatee Games, contient plein de niveaux. Câest la tant attendue version Française du jeu. On doit trouver des mots et les placer sur la grille des mots croisĂ©s, les mots sont Ă trouver Ă partir de leurs dĂ©finitions. Nous avons trouvĂ© les rĂ©ponses Ă
La solution Ă ce puzzle est constituéÚ de 9 lettres et commence par la lettre M CodyCross Solution â pour ĂCRIVAIN CRITIQUANT LA SOCIĂTĂ ET LES HOMMES de mots flĂ©chĂ©s et mots croisĂ©s. DĂ©couvrez les bonnes rĂ©ponses, synonymes et autres types d'aide pour rĂ©soudre chaque puzzle Voici Les Solutions de CodyCross pour "ĂCRIVAIN CRITIQUANT LA SOCIĂTĂ ET LES HOMMES" CodyCross Cirque Groupe 94 Grille 2 0 0 Partagez cette question et demandez de l'aide Ă vos amis! Recommander une rĂ©ponse ? Connaissez-vous la rĂ©ponse? profiter de l'occasion pour donner votre contribution! CODYCROSS Cirque Solution 94 Groupe 2 Similaires 0ki0dF.